Dialogue visuel / LE22
DIALOGUE VISUEL
INFLUENCES // CINÉMA JAPONAIS
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Alexandra, nous avons choisi de documenter l’exposition que nous sommes entrain d’élaborer notamment sous forme de dialogues autour de tes influences. La musique, la culture et le folklore japonais comme le cinéma font partie intégrante de ton processus créatif au même titre que les matières et textures que tu emploies.
J’aime également le cinéma et la culture japonaise et parmi les films notables qui ne cessent de me fasciner, je compte ce magnifique drame érotico-horrifique réalisé par Kaneto Shindo en 1964, “Onibaba, Les tueuses”, film sensuel et cruel d’une beauté sauvage et stupéfiante.
Plus proche de nous, le film issu de la série Shokusai réalisé par Kiyoshi Kurosawa, fresque hypnotique de 4h30 diffusée en deux volets et qui, au delà du film de genre (thriller, film de fantôme propre à la culture japonaise), pose un regard glaçant sur la condition féminine dans le Japon moderne.
Nous pourrions donc, pour amorcer ce dialogue sur les influences à l’œuvre dans tes créations, débuter par le cinéma japonais et les films de genre puisque tu m’as confié au préalable y puiser une puissante source d’inspiration.
“Inspiré de la dramaturgie du nô, le film reprend la figure du démon, très utilisée dans les paraboles bouddhiques médiévales pour symboliser l’enfer auquel mènent les passions non maîtrisées. Il s’inspire également de nombreuses histoires du folklore japonais ayant pour motif le “masque qui colle à la chair”, niku dzuki no men 肉付きの面”
Onibaba, affiche japonaise du film Kaneto Shindo – 1964, 51 x 72 cm
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Carine, Pas de coïncidence si nous avons été attiré l’une vers l’autre, plus le dialogue s’installe et plus il révèle des passions communes à chacune. En effet, le cinéma japonais a une forte influence sur mon travail. Le cultissime Onibaba m’a aussi beaucoup marqué.
Les femmes jouent un rôle essentiel dans les histoires de fantômes japonaises, c’est aussi ce qui me captive. Les vengeresses de Kuroneko, également réalisé par Kaneto Shindô, incarnent parfaitement le genre Kaibyo (histoires de chats fantômes) tout droit tiré du Kabuki, théâtre qui m’inspire aussi fortement. L’ambiance fantastique et sensuelle y est aussi magnétique.
Dans un autre style, tout aussi fascinant, le cinéma de Kenji Mizoguchi me boulverse inlassablement. Avant tout pour la grâce féminine présente dans chacun de ses films, mais également pour l’immuable délicatesse de ses compositions photographiques.
Sa vision de la condition humaine rappelle la notion de survie présente dans les films évoqués précédemment (et dans de nombreux films d’après-guerre au Japon), on y trouve aussi l’éternelle quête du bonheur et la condition des femmes reste un sujet central (Les Musiciens de Gion, Une femme dont on parle, La rue de la honte…). Les kimonos, le style d’après guerre, ou l’époque de Meiji y sont une source inépuisable d’inspiration.
雨月物語, “Ugetsu monogatari” 1953
Pour ne finir par n’en citer qu’un, l’ambiance fabuleuse qu’il emploie pour évoquer la vanité dans Les Contes de la lune vague après la pluie, dont l’histoire est tirée des célèbres contes de Ueda Akinari et de nouvelles de Guy de Maupassant dans une ère Meiji tourmentée, ne cesse de m’inspirer. Les sujets s’entremêlent ; les destinées parallèles, la princesse fantôme ensorceleuse et surtout toujours la déchéance des femmes provoquée par la faiblesse des hommes. Un trésor poignant et sublime où les étoffes de kimono rivalisent de splendeur.
L’actrice envoutante Machiko Kyō Dame Wakasa, princesse-fantôme dans Les contes de la Lune vague après la pluie
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